Il est toujours difficile de regarder la page blanche avant de laisser courir le stylo pour la noircir de mes délires, mes fantasmes, mes souvenir des lors qu,il s,agit de revenir sur mon passé de marin.
La Guadeloupe, ou je suis aujourd’hui, est inscrite dans mon histoire de vagabonde, racontée a chacune de mes trois traversées de l’Atlantique et d’ailleurs…
Quelqu’un a dit « écrire c’est ne pas refuser ce que vous envoie la vie »
…… Alors, je poursuis mon voyage……
Ce mercredi 5 Février, Le zing nous a posé sur l’ile à l’heure locale du diner. Le ponton de la marina où stationne notre navire, loué pour une dizaine de jours, est plutôt branlant, l’environnement immédiat vétuste et la propreté n’est pas dans le cahier des charges des responsables du port. La vrai marina, celle qui accueille les grands évènements, est a l’opposé, proche de la capitainerie, dont nous sommes sans doute trop éloignés pour recevoir la wifi !
Pourquoi m’en soucier, sinon dire à mes enfants que le soleil la chaleur et l’amitié sont capables de guérir les maux du corps, mon cœur étant en harmonie avec mes amis embarqués.
Francois a tout prévu, literie et provisions avant notre arrivée.
Deux jours de soleil et de mer pour assimiler le décalage horaire, sur un voilier a deux coques que l’on appelle catamaran où se sont installés quatre couples dans la force de l’âge et de l’esprit et ma pomme…je pourrais être leur mère…..mais leurs regards ne le confirme pas…..me voila rassurée et confortée dans ma position de second-capitaine.
La vie a bord s’installe dans la plus pure tradition des marins. Mes amis, Francois et Claire +Gonzalgue et Gaud, Jean et Gaby, Jean et Marie véhiculent leur bonne humeur, leur coté bon vivant, leur humour, pour s’évader qq jours de leurs responsabilités au quotidien, de leurs rythmes de vie dont ils acceptent la permanence grace aux parenthèses qu’ils peuvent s’accorder.
J’accompagne François dans son rôle de chef de bord. Plus a l’aise sur des monocoques classiques et modernes que sur des poids lourds a double coque de 48 pieds, mais n’ayant pas d’a priori, je suis agréablement surprise par le comportement de ce voilier, sorti du chantier Fountaine, proche de ma maison a La Rochelle.
Je lui attribue d’autres qualités que celles d’être performant et bête de près……Il est à l’image de ce qu’on attend de lui : spacieux, confortable, facile à manœuvrer. Le bon choix !
Notre périple – que nous avons choisi et tracé sur la carte que voici – sera guère différent de ceux qui ont opté pour le catamaran, devenu le bateau roi sillonnant l’Archipel.
Claire, Magy, Marie et Gaud peaufinent les menus, car je suis incapable de me livrer à ce genre d’exercice, pour une cause déjà évoquée : l’absence de gout pour les bonnes choses…..j’ai choisi la navigation et la vaisselle, ( ma spécialité sur Khayyam, le yacht classique de mes amis Fandeux, qui a à son bord un certain Michel T. maitre « Cook » incontesté).
Pour nos premiers jours de mer, le ciel est plus tourmenté que sur les cartes postales envoyées aux amis restés dans les dépressions successives et l’humidité d’un hiver pas comme les autres. Mais quel que soit le bateau, mon bonheur de naviguer reste intact. Je pense souvent a cette phrase de Philippe, lors de notre grand voyage en famille en traversant l’Atlantique, le bateau offrant à la mer toute sa puissance : « c’est dans ces conditions que ma création arrive à s’exprimer pleinement ».
Il vivait avec son bateau et il m’a appris a reconnaitre les mouvements de la coque lorsqu’il passe dans la vague, les bruits normaux et anormaux lorsque la mer le bouscule, toutes ces sensations, difficiles a décrire, qu’on appelle le bonheur d’être sur l’eau.
Lundi 10 : déjà 5 jours que nous voguons dans l’archipel, dont deux escapades a Marie Galante située a 20 milles de P. a P. Nous jetons l’ancre dans la baie du village de Saint-Louis pour une balade a terre.
Je ne vais pas vous faire l’historique de cette ile. Le Petit Futé sera plus prolixe sur son histoire mouvementée, colonisée alternativement par les anglais et les français pour finir dans l’escarcelle de la France en 1816, non sans avoir guerroyé farouchement, on parle même de boucherie ! C’était pas de tout repos d’habiter là !!
Faut quand même se rappeler que Christophe Colomb la découvrit en 1493, une ile aux 100 moulins, une distillerie, le château de Murat, des plages ou il fait bon se baigner
François nous organise les expéditions terrestres : louer une voiture pour les « fatigués de la marche à pied » munis de la bonne carte et du guide touristique, trouver le bon restaurent, la bonne plage, les plus beaux panoramas.
Le soir, on revient a bord, plus « culturés » que la veille !
Nous sommes aux Saintes, au milieu d’autres voiliers : des cata charters pour une semaine ou deux, des monocoques grands et petits, ceux venus d’un autre continent pour quelques semaines, quelques mois, en transit pour d’autres horizons, reconnaissables par le matériel embarqué visible sur le pont, et par le ou les marins présents a bord. Ce sont des plaisanciers voyageurs; le bateau est devenu leur maison, provisoire ou définitive.
Un joli cata est proche de nous. Un couple et 4 enfants de 2 a 11 ans, tous blondinets, partis de Belgique en juillet dernier pour une année sabbatique. Après une traversée de la Manche et de l’Atlantique par fort vents d’W donc en « tricotant » péniblement, maman a déclaré : la Manche, plus jamais ça !…. La suite du voyage n’a pas été aussi idyllique qu’espéré dans la descente sur le Cap Vert et la traversée vers les Antilles où ils voguent depuis quelques semaines pour redonner confiance aux petits marins et à leur maman….la suite du programme se situant du côté des iles Vierges, puis les Bahamas avant un retour vers la Belgique, évitant les Etats Unis pour cause de tracasseries administratives et visas devenus extrêmement compliquées et couteux. En évoquant brièvement notre voyage avec les enfants en 77, j’ai pensé que c’était une époque bénie pour une telle aventure.
Nous ne sommes ni les premiers ni les derniers a poser notre annexe sur le ponton d’accueil, sans avoir oublié de lui fixer un cadenas bien calibré…pour éviter le piratage, marché florissant dans l’archipel des Caraïbes pour l’innocent trop confiant sur les vertus du vrai ou faux marin sédentarisé….
Christophe Colomb est encore le découvreur de cette ile. A Terre de Haut, ou nous sommes aujourd’hui, vivent, essentiellement de la pêche, bretons, poitevins et normands.
Si vous aimez le poisson et les langoustes, posez votre ancre aux Saintes !!
Je suis venue plusieurs fois dans ce paradis respecté, protégé, ou les maisons aux toits rouges, se fondent dans la végétation. L’alternance de pluie et de soleil donne a la nature sa fraicheur permanente.
Pas de marinas, des bouées disposées intelligemment. Mais si tu veux t’y installer, sois prompt au réveil pour prendre la place « chaude » ….. comme on dit du parking parisien.
Arrive lentement un voilier admiré plus souvent en photo : c’est l’ex « Club Med, baptisé Windsurf, 187m de long sur 20 de large et 5m50 de tirant d’eau. Dans cette baie il est impressionnant !
Le « drone «
François est un ingénieur entreprenant et imaginatif. Son dernier « joujou » se nomme Drone, sorte d’araignée a hélices, qui s’envole comme un hélicoptère, mais téléguidé, il circule dans les airs en photographiant tout sur son passage. Il est suivi de terre par celui qui porte de grosses lunettes noires munies d’antennes.
C’est une petite bête capable de pénétrer partout, de façon très indiscrète……
A Roissy, la valise un peu spéciale, n’a pas échappé a la vigilance de l’hôtesse :
– qu’avez-vous là dedans ?
– un appareil pour prendre des photos
– montrez-moi
– l’hôtesse regarde …. Sans comprendre
C’est pas dans le matériel calibré…..des fois que ça exploserait !
– coup de fil aux autorités
– faut pas s’énerver, dit François…..tandis que les candidats au soleil défilent au comptoir d’embarquement…..
– enfin l’info : ok, mais faut pas laisser les piles dedans
– François inquiet : ça va coincer dans les bagages a mains ?
– non, ça passera
– y’a parfois des miracles !!!
Déjà une semaine que nous sommes ensembles pour naviguer, découvrir ou redécouvrir les paysages, les mouillages, mais aussi nous connaitre mieux´ pour nous apprécier davantage, parce que le voilier, aussi grand soit-il, peut être un espace d’intolérance, mais aussi la découverte de ceux et celles qui vous entourent 24h sur 24.
A ce bord, quatre couples amis de longue date dont leur histoire est baignée de souvenirs heureux, Marie Gabrielle – dit Gaby – est le bout en train bruyamment joyeux. Je suis donc en permanence certaine qu’elle n’est pas tombée du bateau !……. Marie m’impressionne par son calme et sa voix magnifique lorsqu’elle entonne le cantique du soir. Claire est une tendre maman de 9 enfants. Cette belle tribut a toujours et continue d’ensoleiller la Maison Blanche lors de leurs séjours a La Rochelle. Marie et Claire, songent aux menus qui feront plaisir a leurs hommes, sans jamais oublier que le bronzage acquis pendant ces jours d’hiver, sera autant de gagné sur l’été a venir…… Et Gaud, très discrète, s’active comme moi, sur son journal de bord en évoquant les événements quotidiens, les bons mots qu’accompagnent un humour parfois décapant……
Les Jean : sont deux. C’est pas toujours simple sur un bateau ! Mais les épouses respectives ne se trompent jamais…la voix du cœur est en éveil…ils sont si différents, que se tromper est impossible. L’un, volontiers épicurien, contrôle la vitesse du bateau et la ligne de traine pour alimenter le bord en poissons, surveille la cuisson du pain, le barbecue, la préparation des apéritifs et sommelier du bord, choisi le vin
N’ayant pas navigué depuis longtemps, il a perdu qq automatismes de base, mais sa cigarette est un bon indicateur des vents….L’autre Jean est un équipier discret, l’œil et l’oreille là ou il peut grappiller une info, en particulier comprendre le bateau et la mer. Gonzalve est un marin en qui je ferais confiance, même s’il ne sait pas faire un nœud de chaise sur une aussière …….cependant décidé a combler cette lacune…(comblée depuis). Attentif et gentil, il me charme! Quant a François, il avait 14 ans quand nous avons loué la maison de ses parents, amer remarquable vue de la baie de LR. C’est dire l’amitié qui nous lie. Bon vivant, manage son cheptel de main de fer….on dirait madame Thatcher au masculin. Mais la troupe est consentante, surtout lorsqu’il décide de rapporter des Langoustes, commandées la veille au pêcheur du coin.
Aujourd’hui je suis seule a bord. J’ai la chance d’avoir visité la plupart des iles lors de notre grand voyage d’un an, en famille, a travers l’Atlantique. C’était en 77/78 mais aussi dans d’autres circonstances maritimes.
Déjà, a l’époque, j’aimais être gardienne du bateau, seule a bord quelques heures, tandis que les enfants et leur père, se rendaient a terre avec l’annexe. Je lis, j’écris, écoute mes disques préférés, regarde la mer, vagabonde dans mes souvenirs et a cet instant, je me dis que peut-être, je vis pour la dernière fois une croisière dans les Caraïbes….
Mercredi 12, nous quittons les Saintes, cap au Nord pour une escale technique : eau et gasoil dans une petite marina appelée Rivière Sens. L’eau est au prix forfaitaire de 15€, que ce soit 10 ou 2000 litres… Pour le carburant, c’est pas la même chanson….et on est priés de quitter le ponton rapidos.
Passons la soirée et la nuit le long des « ilets a Goyaves » ou de Pigeons, au NW de Basse Terre, Réserve naturelle de Cousteau, dont le buste a son effigie a été immergé a 12mètres de fond par son fils. Dans cette réserve protégée, les poissons multicolores vivent au milieu du corail vivant. Le spectacle est beau, même s’il n’est pas comparable a l’aquarium naturel et protégé de l’ile des Pins, en Nouvelle Calédonie.
Soirée de bonheur partagé, entre la dégustation des langoustes, les chants de notre jeunesse et les histoires drôles qui font rire, mais oubliées la minute suivante…… Nos voisins en ont pris plein les oreilles !!
Maintenant, je compte les jours avant le retour…. Les optimistes diront : encore 4 jours, et les pessimistes : plus que 4 jours!….
Jeudi…..Après notre soirée plus au Nord, nous revenons aux Saintes, parce que le paysage est particulièrement beau et les mouillages sécurisants en cette période de vents musclés. C’est grâce. a ce retour, vent dans le pif, que je découvre d’autres qualités de notre cata. A 30 degrés du vent, c’est mieux qu’espéré et nous rattrapons qq monocoques sur le même cap.
Le canal des Saintes est fidèle a sa réputation….. Un peu de mal de mer me rappelle ma dernière croisière sur Khayyam……Impossible d’oublier ce mal si banal et pourtant si déprimant lorsqu’il s’installe…..
Mais, rassurez-vous, je persiste a aimer les voiliers qui vont sur la mer, parce qu’ils m’ont permis de voyager, de visiter quelques pays dans le monde, de participer a quelques courses : celles du RORC en Angleterre, lorsque j’étais plus jeune, puis la Giraglia en Méditerranée, les régates d’Antigua au Nord des Antilles et surtout la Mini-transat courue en 87 sur un Coco 6.50m, avec Michèle Paret, compagne de Dominique Wavre, un Suisse qui vient de boucler son 10ème tour du monde. C’est une histoire de mer et de bateau dont je suis très fière, me prouvant, a 54 ans, que j’étais capable de réaliser une épreuve sportive d’une certaine exigence. Elle reste gravée dans ma mémoire et celle de Michèle, qui. depuis, a bouclé trois tours du monde avec son compagnon.
Le ciel est toujours tourmenté, le vent tonique sur une mer plate a l’abri des iles de l’archipel des Saintes. Au programme de ce vendredi, tour de l’ile Terre de Bas, trouver un mouillage suffisamment abrité pour sécuriser le bateau. Lorsqu’il n’y a pas de bouées, depuis le début de la croisière, jeter l’ancre devient une manœuvre difficile, voire impossible. L’ancre ne croche pas ou très mal, sur les fonds de sable.
On peste…… et on cherche une baie avec des bouées disponibles…sur lesquelles s’accrocher.
Un coup d’oeil sur le livre de bord pour voir que nous ne sommes pas les seuls devant ce problème.
Après avoir trouvé une petite bouée, nous allons déjeuner chez « Eugenette » petite auberge les pieds dans l’eau, trés connue du monde navigant venu de partout. La mère et le fils sont aux petits soins et le repas délicieux : poisson, langoustes, crudités, gratin d’ignames et bananes flambées (les meilleures des Antilles…..dit-on.). Terre de Bas est un village de jolies maisons individuelles, noyées dans la verdure colorées et peintes avec un soin particulier. Il se dit que des subventions spécifiques sont généreusement distribuées a cet effet……Je comprends qu’elle attire tant de bateaux scotchés sur les bouées pas assez nombreuses pour accueillir les visiteurs du soir que nous sommes.
C’est notre dernière soirée a regarder le soleil se coucher derrière une iles des Saintes. Dernier dîner sur ce bateau devenu notre maison, derniers regards sur les lumières qui nous entourent, sur le lever de la lune si épanouie qu’elle illumine les voiliers endormis.
Demain est un autre jour. Même si le rituel du lever et du petit déjeuner est semblable aux autres. Seul le cap compas indiquera le retour vers la Grande Terre, pour amarrer notre navire sur le ponton que nous avons quitté un jeudi 6 février 2014.
Dimanche 16 le retour
Au lever du jour on refait nos sacs de marin, tandis que d’autres candidats au soleil débarquent du taxi, la mine réjouie venant s’offrir une dose d’UV pour l’hiver….
En traçant ces quelques lignes, sur mon IPAD, (cadeau de mes enfants le jour ou le « crabe » fut identifié), j’appuie régulièrement sur la touche « retour »….. Retour vers l’hiver, Retour en se séparant de nouveaux amis – de belles rencontres!, Retour sur la réalité des semaines « chimio » qui doit prolonger la vie… Retour en laissant derrière moi les bains chargés d’iode et d’énergie, les promenades au milieu des fleurs et des fruits exotiques,
Mais aussi, retour le visage bronzé, grâce a cette « parenthèse » sur la mer et sous les cocotiers.
et puis Marie vient de m’envoyer cette belle chanson de Mannick:
» Je connais les bateaux qui restent dans le port
de peur que les courants les entrainent trop fort,
je connais des bateaux qui rouillent dans le port
a ne jamais risquer une voile au dehors.
je connais des bateaux qui oublient de partir
ils ont peur de la mer à force de vieillir,
et les vagues, jamais, ne les ont séparés,
leur voyage est fini avant de commencer.
Je connais des bateaux tellement enchaînés
qu’ils en ont désappris comment se regarder,
je connais des bateaux qui restent à clapoter
pour être vraiment surs de ne pas se quitter.
Je connais des bateaux qui s’en vont deux par deux
affronter le gros temps quand l’orage est sur eux,
je connais des bateaux qui s’égratignent un peu
sur les routes océanes où les mènent leurs jeux.
Je connais des bateaux qui n’ont jamais fini
de s’épouser encore chaque jour de leur vie,
et qui ne craignent pas, parfois, de s’éloigner
l’un de l’autre un moment pour mieux se retrouver.
Je connais des bateaux qui reviennent au port
labourés de partout mais plus graves et plus forts,
je connais des bateaux étrangement pareils
quand ils ont partagé des années de soleil.
Je connais des bateaux qui reviennent d’amour
quand ils ont navigué jusqu’à leur dernier jour,
sans jamais replier leurs ailes de géants
parce qu’ils ont le cœur à taille d’océan. »
……. Demain lundi sera un autre jour et la suite une autre histoire…..